Les Espèces Non Indigènes (ENI), quelles évolutions ?

Les actualités estivales et de la rentrée font état des espèces exotiques envahissantes, de leurs impacts, principalement en milieu terrestre. C’est l’occasion de partager quelques informations autour des Espèces Non Indigènes (ENI) en milieu marin et de l’importance de nos observations via BioObs.

 

La DSF et la DCSMM ?

A l’échelle de chaque façade maritime (Atlantique Sud, Atlantique Nord et Manche Ouest, Manche Est et Mer du Nord ainsi que Méditerranée), l’État, en concertation avec les acteurs locaux, analyse et organise les activités humaines en mer, dans une perspective écologique, économique et sociale.

Ce processus est appelé planification maritime et est définit dans un document intitulé le Document de Stratégie de Façade (« DSF »).

Les données utilisées, liées à l’état des écosystèmes marins, sont précisées dans la Directive-Cadre Stratégie pour le Milieu Marin (DCSMM de 2008) qui vise à « maintenir ou restaurer un bon fonctionnement des écosystèmes marins tout en permettant l’exercice des usages en mer pour les générations futures dans une perspective de développement durable« .

Comme l’indique l’histoire de BioObs (§ Juin 2019), BioObs est l’un des dispositifs de Sciences Participatives qui a été répertorié pour l’élaboration du descripteur 2, Espèces Non Indigènes de la DCSMM (un second dispositif de Sciences Participatives est BioLit).

Pour rappel, une Espèce Non Indigène (ENI) est une espèce, animale ou végétale, observée hors de son aire de répartition naturelle, introduite volontairement ou accidentellement, généralement par les activités humaines dans un nouvel habitat aquatique.

Les principales activités humaines à l’origine de ces introductions, appelées vecteurs d’introduction, sont le trafic maritime, les activités de cultures marines, l’ouverture ou l’agrandissement des canaux maritimes, l’aquariophilie, la navigation de plaisance ou encore les déchets.

Les ENI sont particulièrement surveillées en raison de leur potentiel à perturber l’écosystème : certaines devenant envahissantes et ayant des impacts majeurs sur la biodiversité, les habitats, le fonctionnement des écosystèmes et parfois la santé humaine.

Parmi les 11 descripteurs qui servent à caractériser l’état écologique du milieu marin, nous allons donc nous intéresser à celui concernant les ENI : ces indicateurs ont fait l’objet d’une actualisation dans le cadre de l’exploitation des informations disponibles sur la période 2018/2020 (cycle 3) comparativement aux données acquises sur la période 2012/2017 (cycle 2).

 

Quels sont le(s) descripteur(s) pour évaluer les ENI ?

Le Descripteur 2 (ou D2, « Espèces non indigènes ») est défini comme « les Espèces Non Indigènes introduites par le biais des activités humaines sont à des niveaux qui ne perturbent pas les écosystèmes » (directive 2008/56/CE).

La pression et les altérations exercées par les espèces non indigènes (ENI) sont évaluées au titre du Descripteur 2 de la DCSMM selon trois sous-critères :

  • D2C1 (indicateur primaire de pression) : nombre d’espèces non indigènes nouvellement introduites, compté par période d’évaluation de six ans. Un Bon État Écologique (« BEE ») est atteint si ce nombre diminue de façon significative sur deux cycles consécutifs,
  • D2C2 (indicateur secondaire de pression) : abondance et répartition spatiale des ENI établies, en particulier les espèces envahissantes, qui contribuent de manière notable aux effets néfastes sur certains groupes d’espèces ou grands types d’habitats,
  • D2C3 (indicateur secondaire d’altération) : proportion du groupe d’espèces ou étendue spatiale du grand type d’habitat subissant des altérations néfastes dues à la présence d’ENI, en particulier des espèces non indigènes envahissantes.

En l’absence de méthodes consensuelles sur les indicateurs et les seuils et de données fiables, seules les tendances d’introduction (D2C1) sont renseignées dans les évaluations, les autres critères (D2C2 et D2C3) n’étant pas évalués à ce jour.

 

Comparaison du descripteur D2C1 et des espèces ENI nouvellement introduites par façade littorale sur les deux derniers cycles d’évaluation

Définition de la tendance :

Si le nombre d’espèces jamais observées/jamais signalées par an diminue de manière significative sur au moins deux cycles consécutifs, le BEE est considéré comme atteint au titre du critère D2C1 pour les ENI nouvellement introduites.

En cas de tendance non-significative, l’atteinte du BEE est considérée comme « inconnue ».

Une espèce observée a fait l’objet d’une observation in situ ou d’une récolte. Une espèce signalée correspond à une présence validée et communiquée dans une revue scientifique.

 

Les nouvelles ENI introduites pour le cycle 3

Pour la période 2018/2020 (cycle 3), de nouvelles ENI ont été prises en compte (en gras, les espèces facilement identifiables et pour lesquelles une fiche-espèce BioObs existe) :

  • Sud Atlantique : 5 annélides (Marphysa victori, Polydora colonia, Thelepus japonicus, Pseudopolydora kempi japonica, Euchone limnicola) et 1 ascidie (Styela plicata) et 1 poisson (Fistularia petimba;
  • Nord Atlantique & Manche Ouest : Manche Ouest : 1 annélide (Boccardia proboscidea) et 1 copépode (Pseudodiaptomus marinus) ; Atlantique Nord : 3 arthropodes (Ammothea hilgendorfi, Stephos cryptospinosus, Stephos marsalensis) ;
  • Manche Est & Mer du Nord : 5 annélides (Boccardia pseudonatrix, Boccardiella hamata, Polydora onagawaensis, Polydora websteri, Thelepus japonicus), 4 arthopodes (Aoroides longimerus, Aoroides semicurvatus, Ianiropsis serricaudis, Paranthura japonica), 2 mollusques (Arcuatula senhousia, Rangia cuneata), 1 algue rouge (Symphocladiella dendroidea) et 1 algue verte (Ulva ohnoi) ;
  • Méditerranée occidentale : 3 annélides (Boccardia proboscidea, Hydroides dirampha, Syllis hyllebergi), 2 ascidies (Botrylloides diegensis, Styela canopus) et 1 poisson (Holocentrus adscensionis), 1 arthropodes (Callinectes sapidus) et 2 mollusques (Cerithium scabridum, Polycerella emertoni).

Les deux graphiques ci-dessous permettent de visualiser la répartition et l’évolution des introductions d’espèces non indigènes :

  • Un histogramme comparant, par façade littorale, le nombre de nouvelles ENI pour les cycles 2 et 3 ;
  • Une courbe montrant l’évolution du nombre moyen annuel d’introductions entre les deux cycles par façade littoral.

 

Synthèse des résultats

  • La méthode d’évaluation nationale reste centrée sur le dénombrement et la tendance des introductions nouvelles (D2C1). Les critères de suivi locaux sur la répartition et l’impact (D2C2 et D2C3) sont encore peu renseignés car requièrent des protocoles communs et des efforts coordonnés au niveau européen ;
  • Toutes les façades littorales évaluées montrent un nombre de nouvelles introductions d’espèces non indigènes pour le cycle 3 compris entre 5 et 13,
  • La plupart des introductions sont associées aux activités humaines (trafic maritime, aquaculture, plaisance), et les zones portuaires constituent les principaux foyers d’apparition ;
  • Parmi elles, les façades Atlantique Nord – Manche Ouest, la Méditerranée ainsi qu’Atlantique Sud affichent un recul (respectivement de 7 à 5, de 11 à 9 et de 15 à 7), tandis que la façade Manche Est & Mer du Nord présente une augmentation de 8 à 13 ;
  • Les seuils de diminution du descripteur D2C1 n’ayant pas été franchis de manière significative sur deux cycles consécutifs, l’atteinte du Bon État Écologique reste inconnue pour l’ensemble des façades,
  • Pour la prochaine évaluation, la définition d’un pourcentage de réduction plutôt qu’un nombre absolu d’espèces et l’amélioration des méthodes de suivi devraient permettre de trancher sur l’atteinte ou non du BEE pour ce descripteur « Espèces non indigènes » ;
  • La pression liée aux ENI est susceptible d’augmenter à l’avenir ; le nombre total de ENI recensées en France métropolitaine dépasse 340 espèces, avec une forte représentation pour les arthropodes, les annélides et les mollusques. L’intensification des échanges maritimes et des activités côtières maintient un flux continu de nouvelles introductions, et aucun territoire n’affiche aujourd’hui de baisse sur deux périodes d’évaluation consécutives.

 

Quels enseignements tirer pour l’outil BioObs ?

BioObs, outil de formation, d’auto-formation, est également l’un des rares projets de Sciences Participatives répertorié pour l’élaboration du descripteur 2 :

  • BioObs contribue au jeu de données intégré à la base nationale de INPN pour le calcul des indicateurs. Il peut également contribuer au programme de surveillance (en cours de développement) destiné à mettre en place des suivis in situ, au sein des zones à risque (zones portuaires, sites conchylicoles) et sensibles aux bio-pollutions (telles que les aires marines protégées) en vue de détecter les ENI dès leur introduction éventuelle dans le milieu ;
  • L’implication des observateurs (plongeurs, plaisanciers, randonneurs, pêcheurs) permet de multiplier les observations sur des zones et périodes bien plus larges que celles couvertes par les seuls scientifiques professionnels ;
  • Parmi les 30 nouvelles espèces identifiées ou signalées au cours du cycle 3, sept semblent reconnaissables par les plongeurs. Beaucoup sont complexes à reconnaître (taille, critères de détermination…) et nécessitent une formation approfondie (hors de portée pour le plus grand nombre de nos utilisateurs de BioObs) ;
  • Par ailleurs, la détection de nouvelles espèces arrivantes nécessite une information très amont de notre réseau et une formation des observateurs sur des critères accessibles au plus grand nombre ;
  • Enfin, la focalisation des actions de recherche des ENI sur des « zones à risque  d’introduction précoce » (ports, zones conchylicoles …) nécessitent des autorisations administratives spécifiques pour chaque action menée.

 

L’ALIEN du mois

L’algue chevelue rouge (Asparagopsis taxiformis) est une algue rouge (Rhodophyta) filamenteuse formant de légers buissons ramifiés de couleur pourpre à rouge vif.

Elle se trouve principalement dans les eaux chaudes et tempérées de l’Atlantique, de l’océan Indien et du Pacifique. Elle s’accroche aux rochers, aux coquillages ou aux autres algues entre la zone infralittorale, du niveau de la basse mer jusqu’à 15–20 m de profondeur. Sur le plan écologique, l’espèce joue un rôle dans les réseaux trophiques côtiers :

  • Elle fournit un abri à de petits invertébrés,
  • Elle sert de nourriture à divers herbivores marins, tout en concourant à la production primaire et à l’oxygénation de l’eau.

Originaire des eaux tropicales et subtropicales de l’Indopacifique ; cette espèce figure actuellement sur la « Liste noire des espèces envahissantes dans le milieu marin » de Méditerranée de l’UICN. Les réseaux ALIEN l’identifie principalement en Corse :

  • Elle a été signalée depuis les années 1980 hors de son aire native, notamment en Méditerranée, dans l’Atlantique Nord-Est, ainsi que dans plusieurs secteurs de la côte Est des États-Unis et des Caraïbes,
  • Elle s’installe rapidement sur des substrats variés (roches, coquilles, structures artificielles) grâce à une production massive de spores tolérantes aux variations de salinité, un fort pouvoir de régénération à partir de fragments détachés par le courant ou le piétinement et des composés chimiques antifoulings qui limitent la croissance d’espèces concurrentes.

Références :

 

Les nouvelles fiches-espèces

Tous les mois, nous vous présentons les nouvelles fiches espèces créées. En vous remerciant pour tous vos relevés et photographies, voici quelques-unes des nombreuses fiches créées cet été : les reconnaissez-vous ?

 

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